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http://remacle.org/bloodwolf/faulx/oedipe/introduction1.htmOEDIPE. - Toi qui scrutes tout, à Tirésias, aussi bien ce qui s'enseigne que ce qui demeure interdit aux lèvres humaines, aussi bien ce qui est du ciel que ce qui marche sur la terre, tu as beau être aveugle, tu n'en sais pas moins de quel fléau Thèbes est la proie. Nous ne voyons que toi, seigneur, qui puisses contre lui nous protéger et nous sauver. Phoebos, en effet - si tu n'as rien su par mes envoyés -, Phoebos consulté nous a conseillés ainsi: un seul moyen nous est offert pour nous délivrer du fléau ; c'est de trouver les assassins de Laïos, pour les faire ensuite périr ou les exiler du pays. Ne nous refuse donc ni les avis qu'inspirent les oiseaux, ni aucune démarche de la science prophétique, et sauve-toi, toi et ton pays, sauve-moi aussi, sauve-nous de toute souillure que peut nous infliger le mort. Notre vie est entre tes mains. Pour un homme, aider les autres dans la mesure de sa force et de ses moyens, il n'est pas de plus noble tâche.
TIRÉSIAS. - Hélas ! Hélas ! Qu’il est terrible de savoir, quand le savoir ne sert de rien à celui qui le possède! Je ne l'ignorais pas ; mais je l'ai oublié. Je ne fusse pas venu sans cela.
OEDIPE. - Qu'est ce là ? Et pourquoi pareil désarroi à la pensée d'être venu ?
TIRÉSIAS. - Va, laisse-moi rentrer chez moi : nous aurons, si tu m'écoutes, moins de peine à porter, moi mon sort, toi le tien.
OEDIPE. - Que dis-tu? Il n'est ni normal ni conforme à l'amour que tu dois à Thèbes, ta mère, de lui refuser un oracle.
TIRÉSIAS. - Ah ! C’est que je te vois toi-même ne pas dire ici ce qu'il faut ; et, comme je crains de commettre la même erreur à mon tour...
OEDIPE. - Non, par les dieux! Si tu sais, ne te détourne pas de nous. Nous sommes tous ici à tes pieds, suppliants.
TIRÉSIAS. - c'est que tous, tous, vous ignorez... Mais non, n'attends pas de moi que je révèle mon malheur - pour ne pas dire : le tien.
OEDIPE. - Comment? Tu sais, et tu ne veux rien dire ! Ne comprends-tu pas que tu nous trahis et perds ton pays ?
TIRÉSIAS. - Je ne veux affliger ni toi ni moi. Pourquoi me pourchasser vainement de la sorte ? De moi tu ne sauras rien.
OEDIPE. - Ainsi, à le plus méchant des méchants - car vraiment tu mettrais en fureur un roc -, ainsi, tu ne veux rien dire, tu prétends te montrer insensible, entêté à ce point ?
TIRÉSIAS. - Tu me reproches mon furieux entêtement, alors que tu ne sais pas voir celui qui loge chez toi, et c'est moi qu'ensuite tu blâmes !
OEDIPE. - Et qui ne serait en fureur à entendre de ta bouche des mots qui sont autant d'affronts pour cette ville ?
TIRÉSIAS. - Les malheurs viendront bien seuls : peu importe que je me taise et cherche à te les cacher!
OEDIPE. - Mais alors, s'ils doivent venir, ne faut-il pas que tu me les dises?
TIRÉSIAS. - Je n'en dirai pas plus. Après quoi, à ta guise ! Laisse ton dépit déployer sa fureur la plus farouche.
OEDIPE. - Eh bien soit ! Dans la fureur où je suis, je ne cèlerai rien de ce que j'entrevois. Sache donc qu'à mes yeux c'est toi qui as tramé le crime, c'est toi qui l'as commis- à cela près seulement que ton bras n'a pas frappé. Mais, si tu avais des yeux, je dirais que même cela, c'est toi, c'est toi seul qui l'as fait.
TIRÉSIAS. - Vraiment? Eh bien, je te somme, moi, de t'en tenir à l'ordre que tu as proclamé toi-même, et donc de ne plus parler de ce jour à qui que ce soit, ni à moi, ni à ces gens ; car, sache-le, c'est toi, c'est toi, le criminel qui souille ce pays !
OEDIPE. - O très chère femme, Jocaste que j'aime, pourquoi m'as-tu fait chercher dans le palais ?
JOCASTE. - Ecoute l'homme qui est là, et vois en l'écoutant ce que sont devenus ces oracles augustes d'un dieu.
OEDIPE. - Cet homme, qui est-il ? Et qu'as-il à me dire ?
JOCASTE. - Il vient de Corinthe et te fait savoir que Polybe n'est plus : la mort a frappé ton père.
OEDIPE. - Que dis-tu, étranger ? Explique-toi toi-même.
LE CORINTHIEN. - S'il me faut tout d'abord te rendre un compte exact, sache bien qu'en effet Polybe a disparu.
OEDIPE. - Victime d’un complot ou d’une maladie ?
LE CORINTHIEN. - Le moindre heurt suffit pour mettre un vieux par terre.
OEDIPE. - Le malheureux, si je t'en crois, serait donc mort de maladie ?
LE CORINTHIEN. - Et des longues années aussi qu'il a vécues.
OEDIPE. - Ah ! Femme, qui pourrait désormais recourir à Pythô, au foyer prophétique? Ou bien à ces oiseaux criaillant sur nos têtes? D'après eux, je devais assassiner mon père : et voici mon père mort, enseveli dans le fond d'un tombeau, avant que ma main ait touché aucun fer !... à moins qu'il ne soit mort du regret de ne plus me voir? Ce n'est qu'en ce sens qu'il serait mort par moi. - Le fait certain, c'est qu'à cette heure Polybe est dans les Enfers avec tout ce bagage d'oracles sans valeur.